Selma Feriani Gallery vous invite un groupe d’exposition (avec Dana Awartani, Ala Ebtekar, Farah Khelil, Timo Nasseri, Haleh Redjaian et Peter Weber) du 10 décembre 2017 au 19 janvier 2018 de 11h à 15h.
 

10-12-2017 11:00
Vendredi 19-01-2018 15:00

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" Peinture concrète et non abstraite, parce que rien n'est plus concret, plus réel qu'une ligne, qu'une couleur, qu'une surface " Théo Van Doesburg

 

Au cours de son histoire, le décor islamique a évolué selon des normes qui dépassent l'esthétique, s'inscrivant dans une vision à la fois philosophique et contemplative, qui mène vers l'horreur du vide : une esthétique explorant divers motifs géométriques, végétaux, animaliers et épigraphiques ornant une œuvre dans sa totalité.

 

Quand l'œil plonge dans les détails d'une telle œuvre, il décèlera très rapidement les règles selon lesquelles celle-ci a été conçue. En effet, au-delà de cette esthétique de remplissage, la surface à orner se veut d'abord délimitée par un ordre géométrique et une symétrie qui donnent à voir une création mesurée par l'intelligence et qui témoignent des enchevêtrements, des rythmes et des ondulations purement mathématiques. Il est d'ailleurs très évident de tisser un lien entre l´art et la science dans un contexte où, justement, et comme le souligne Oleg Grabar, les mathématiques sont un pan de la culture arabo-musulmane ; comme si donc les artistes étaient redevables aux chiffres pour créer leurs arts.

 

Si l'on s'arrêtait à l'étape de la géométrie, pensée dès le début de l'art islamique, soit vers le VIIe siècle, il serait permis de la confondre avec l'art concret, dont le groupe s'est formé en 1930 à Paris par Théo Van Doesburg, revendiquant une forme d'art basée sur des formes purement géométriques.

 

L'occasion nous a été donnée de découvrir un aspect concret dans l'art musulman, lors d'un travail de recherche de plusieurs années autour de ce sujet, qui nous a conduit à vider près de deux cent céramiques de leurs ornements, engendrant par-là même des réseaux de lignes. C'est de cette démarche qu'a surgi l'idée de mettre en place une exposition intitulée " l'horreur du plein ".

 

Celle-ci se veut, d'une part, l'opposée d'une esthétique qui prône le remplissage d'une œuvre et, d'autre part un pont jeté entre l'art islamique et l'art contemporain.

 

Ce projet convie des artistes dont la démarche est inspirée d'un monde arabo-musulman épuré et d'autres s'inscrivant totalement dans la philosophie de l'art concret. Le tout sera interprété par des dessins, des découpages des livres d'artistes et des sculptures.

 

Ainsi, des papiers quadrillés de l'artiste iranienne Haleh Redjaian (Berlin, 1971), surgissent une superposition de formes géométriques épurées fondées sur la répétition des carrés ou des lignes remarquablement fines, qu'elle met en place, avec le soin minutieux du tapissier, non pas pour créer de l'ordre mais pour modifier l'espace.

 

Elle se réfère, en partie, à la manière dont les gens créent, s'adaptent et s'écartent de l'ordre préétabli. Par cette démarche, elle aboutit à ce qu'elle appelle « un langage abstrait naturel » basé sur la relation fort prononcée entre les mathématiques et la géométrie, que l'artiste puise dans les tapis iraniens.

 

La double appartenance culturelle se ressent dans le travail de l'artiste d'origine iranienne Ala Ebtekar (Berkeley, 1978), dont l'œuvre est une collision entre le passé et le présent, faite d´une déconstruction/reconstruction du temps et de l'espace. C'est dans ce sens qu'éclosent les manuscrits, que l'artiste vide soigneusement par le biais du découpage, pour aboutir à des œuvres fragiles à certains égards, puisqu'il ne garde qu'une feuille évidée, de laquelle il ne sera plus possible de saisir un mot.

 

Ce travail fait écho au livre aveugle de l'artiste tunisienne Farah Khelil (Carthage, 1980), qui consiste en une impression en noir d'un texte traduit en braille, dès lors, la vue cède la place au toucher, le livre perd son usage et retrouve l'essence de l'objet. Ici, le spectateur est également privé des mots et sera désormais convié à la contemplation. Il faut croire que parfois les choses n'ont pas besoin de mots pour être exprimées ou placées dans un contexte précis.

 

L'intrigue et le questionnement sont deux axes importants qui caractérisent le travail de Farah Khelil et qui lui confèrent toute sa spécificité.

 

Après le papier, le vide est exprimé à travers les sculptures "Mesh" de l'artiste berlinois d´origine iranienne Timo Nasseri (Berlin, 1972), qui fonctionnent à l'instar des Muqarnas en trois dimensions. Il s'agit d'une démarche à laquelle s'adonne l'artiste en parallèle du dessin et qui prône, par excellence, l'esthétique de l'horreur du plein, puisque seules des lignes droites et obliques sont mises au service de ces créations soulignant leur interdépendance en termes de répétition et d'esthétique, que Timo recherche dans la géométrie, les mathématiques et l'ornement islamique.

 

Pour nous rappeler le point de départ de l'exposition, Dana Awartani (Jeddah, 1987) est désireuse de préserver les ornements islamiques traditionnels et de les réinterpréter dans un langage contemporain. Son travail nous révèle les systèmes codifiés de la géométrie islamique et nous renseigne sur les vastes contextes religieux et culturels auxquels a fait face l'art musulman. Ce faisant, Dana s'engage avec l'attrait méditatif de la pureté de la forme tout en déconstruisant et réinterprétant à sa manière les systèmes contemporains.

 

Enfin, le point final auquel on voudrait aboutir à travers cette exposition, est mis en avant par les œuvres de l'artiste allemand Peter Weber (Kollmar, 1944), chez qui il est question de manipuler du papier ou du tissu, pour nous propulser vers un art concret, réunissant des formes géométriques monochromes soigneusement élaborées. Son œuvre est basée sur le lien entre la construction et ses effets. Il examine les conditions qui découlent inévitablement de la construction, en créant des structures sans rien perdre et sans avoir à couper une pièce au profit d'une autre.

 

Cette exposition est une invitation à un voyage contemplatif à travers la sempiternelle quête des formes et des mots, désormais égarés par volonté tout au long du processus créatif.

 

Khadija Hamdi-Soussi